EDITORIAL :
Si de nos jours le Judaïsme français est relativement unifié grâce à l’arrivée et au développement des communautés juives d’Afrique du Nord, au sein desquelles ont subsisté quelques rares îlots ashkénazes, sa composition actuelle n’est certainement pas celle de la communauté juive d’antan. La Provence juive d’autrefois avait son rite, Bordeaux suivait le sien, la Lorraine avait ses originalités, et l’Alsace elle aussi se distinguait des autres provinces françaises avec son rite propre. Ceci, pour la période de la Renaissance. Il faudrait aussi parler de la haute période de nos grands maîtres du Moyen-âge, Rachi et ses successeurs, qui nous sont connus de par leurs différents ouvrages (le Ma’hzor Vitry et autres). Nous savons ainsi que déjà à l’époque certains Tossafistes suivaient le rite séfarade tandis que les autres, la majorité sans doute, était ashkénaze. Toutefois, la plupart de ces rites ont pratiquement disparu : rares sont ceux qui les pratiquent encore, et la richesse spirituelle de ces communautés a bien disparu. Ou alors — et il est sans doute plus exact de le dire ainsi — le travail de mise au point des minhagim et de clarification des conclusions de Halakha auquel ils se consacrèrent fut ensuite reconsidéré par les générations plus tardives, comme celle de rabbi Yossef Caro ou du Rema, rabbi Moché Isserlis, pour être finalement accepté et appliqué par l’ensemble du peuple juif, ou à tout le moins par la majorité de composantes de notre peuple. Ainsi, leur bagage spirituel ne s’est pas perdu : il a été adapté dans la voie commune à toutes les communautés d’Israël. Nombreuses sont en effet les conduites que nous suivons dans la vie juive de tous les jours, qui reposent en fait sur les conclusions du Maître de Troyes qu’était Rachi, ou sur les décisions finales de Rabbénou Tam ou de l’un ou l’autre des Tossafistes d’une part, ou sur celles des grands maîtres espagnols, dont les analyses et les conclusions sur d’innombrables points de Halakha ont tout autant influencé les conclusions du Choul’han Aroukh.
Avec le Judaïsme alsacien, c’est l’une des composantes de cette mosaïque que forme le Judaïsme français ancien qui aura tout de même réussi à se maintenir jusqu’à ce jour, bien que rares soient encore les Juifs de cette origine qui connaissent leurs sources, qui suivent leurs minhagim ou qui pratiquent… leur langue propre, le judéo-alsacien, pourtant imprégné d’une manière tellement remarquable d’hébreu et d’expressions talmudiques ! Sans parler du respect du rite de cette région, et de sa si particulière `hazanouth, où sa spiritualité s’exprime dans toute son originalité.
Si pour les autres rites qui se sont développés sur le territoire français, il faut de nos jours se contenter de recherches historiques face au Judaïsme alsacien, on devrait plutôt employer l’expression de sauvetage culturel d’un patrimoine en voie de disparition. Il reste encore quelques témoins, certaines synagogues continuent à pratiquer le rite alsacien, on trouve même quelques anciens qui connaissent encore le judéo-alsacien… Il nous a donc semblé important de consacrer cette fois-ci un dossier à ce judaïsme dont le souvenir risque de disparaître sous les assauts du temps…
Contrairement à l’image qui en est donnée la plupart du temps, l’Alsace a derrière elle une profonde tradition juive de pratique et d’étude, qu’il nous semble important d’évoquer ici. Nos grand-mères, rappelait l’un de ses descendants, n’hésitaient pas à se plonger dans des fleuves glacés en hiver pour se purifier. Et entre des villages tels que Bischheim et Hoenheim, dans la banlieue de Strasbourg, ce n’est pas moins de trois établissements de bains rituels que l’on pouvait compter. L’histoire de cette région nous fera découvrir également des grands rabbanim et des Yechivoth, des Juifs pratiquants et de hautes oeuvres dont le souvenir mérite d’être rappelé en nos colonnes, afin que leur exemple et leurs enseignements perdurent.
Rav H. Kahn
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