« Tu seras tributaire de ton frère. Pourtant, après avoir plié sous le joug, ton cou s’en affranchira » (Beréchith/Genèse 27,40).
‘Essav, nous l’avons vu dans l’une des parachioth passées, est extrême- ment déçu du fait que son frère, Ya’akov, lui ait volé les bénédictions que Yits’hak voulait lui accorder, lui, son fils préféré, ‘Essav. Déçu ?! Il veut tuer son frère, et cette haine ne diminuera pas avec le temps, puisque 40 ans plus tard, il aura encore tous les ressentiments qu’il éprouva à l’égard de Ya’akov et se dirigera vers lui, entouré de 400 guerriers…
Son père, Yits’hak, lui livre toutefois un message, qui ne cessera d’être vérifié tout au long de notre exil : « Tu seras tributaire de ton frère. Pourtant, après avoir plié sous le joug, ton cou s’en affranchira ». Quel en est la teneur ? Nos Sages expliquent (Pesikta zoutarta ad loc) : « Si tu vois que ton frère Ya’akov se débarrasse du joug de la Tora, tu pourras le dominer ». Notre ancêtre Yits’hak établit là une sorte de contrat moral entre les deux groupes, à portée abyssale pour l’avenir du peuple juif : le rôle de Ya’akov dans le monde est de porter le joug de la Tora, d’accomplir les mitsvoth et d’étudier cet héritage qui lui a été accordé au mont Sinaï. Alors, effectivement, il tiendra le haut du pavé – ce qui a été le cas à certaines périodes historiques, dont sous la royauté du roi Che- lomo, ou à d’autres (rares) occasions. Quand, en revanche, il a quitté la droite voie, l’ennemi s’en est pris à lui à chaque reprise. Les prophéties ne cessent de rapporter de tels épisodes, marquant l’histoire du peuple juif de manière inlassable : des périodes de relâchement, suivies par des attaques de nos enne- mis, une reprise en main, souvent grâce à un juge ou à une personne qui sait parler au peuple juif et le ramener dans le droit chemin, ce qui sert à éliminer la menace qui pesait contre nous. C’est le message de la Meguilath Esther, mais on pourra aussi le mettre en évidence tout au long des livres des Prophètes.
Il est du reste intéressant de savoir que nos Sages ont émis un reproche à l’égard de notre ancêtre Yits’hak dans ce domaine, dans leur interprétation du verset d’Isaïe (63,16), « C’est pourtant Toi Qui es notre père, car Abraham ne sait rien de nous, Israël [Ya’akov] ne nous connaît point. Toi, ô Eternel, Tu es notre père, notre sauveur de tout temps : tel est Ton Nom ». Il manque un nom dans cette liste : celui de Yits’hak ! C’est un point intriguant. Nos Sages en concluent : cette éviction provisoire provient du fait que le verset reproche à Yits’hak d’avoir permis (par l’établissement de ce fameux contrat moral) aux descendants d’Essav de décréter des pogroms et des poursuites contre le peuple juif…
Toutes les prophéties qui font partie du canon biblique sont source d’enseignement pour les générations suivantes alors qu’il y a de nombreuses autres qui n’ont pas été écrites, car elles n’avaient rien à apporter à l’avenir (Meguila14a). Ce thème récurrent nous concerne également, encore et toujours : nos faiblesses apportent de la puissance à nos ennemis, en particulier ceux descendant de ‘Essav.
La difficulté repose toutefois dans le fait que nous ne sommes pas forcément prêts à nous remettre en question et à admettre que nous ne sommes pas dans le droit chemin, celui attendu de la part de Ya’akov !
Soit, mais ‘Essav ne tient pas compte de cette difficulté, et il revient à la charge dès que nous le lui permettons…
Or dans une période telle que la nôtre, où l’antisémitisme repart avec une virulence inquiétante, le plus souvent sous sa forme moderne d’antisionisme, ne faudrait-il pas que nous reprenions le problème à la base, à réfléchir quelle est la voie que doit emprunter le peuple juif et à y revenir si nous l’avons quittée ?
Même s’il n’est pas en notre pouvoir de changer l’ensemble de la face du peuple juif, nous avons au moins la possibilité de penser à améliorer nos propres engagements religieux, ceux de notre famille, et, parfois, à en parler dans le cadre de notre communauté.
En attendant qu’intervienne le prophète Elie, dont la fonction sera de faire « ramener le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères » (Malakhie 3,24), de l’ensemble du peuple juif, et qu’alors la rédemption totale et définitive soit décrétée en notre faveur !
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